Le moment trépidant où le
spectacle commence. Va-t-il me plaire ? Un homme est couché sur la scène. J'ai cru que c'était une grande marionnette, un guignol. Mais quand il s’est relevé, on a vu que c'était un vrai homme, juste un peu gris
de visage. Il regardait fixement les spectateurs alors que ceci prenait leur place. Il a enlevé son costume gris standard, puis ses sous-vêtements. Un homme nu, comme c’est beau. Comme c’est fragile. Il a retourné une des plaques de caoutchouc qui couvre la scène grise : elle était blanche de l'autre côté. Il s'est couché dessus. Un homme nu couché, c’est encore plus fragile. Un homme barbu est arrivé vêtu lui aussi teint complet standard. Il a étendu un tissu ou un la seule sur l'homme nu. Jusque-là, j'ai été séduite, mais je n'aime pas beaucoup le tissu ni la manière qu'a l’homme de l’étendre sur le l’homme nu. L’homme barbu quitte la scène, un autre arrive aussi vêtu d’un costume standard. Il soulève une plaque de caoutchouc et la laisse tomber. Le souffle soulève le tissu et le déplace plus loin. L’homme est de nouveau nu. Ce manège recommence au moins une dizaine de fois, les actions des hommes étant de plus en plus rapprochées jusqu’à ce qu’ils soient en même temps sur la scène.
Je ne comprends
pas la signification de cette scène. Du moins, pas instinctivement. Si je
réfléchis, je m’imagine qu’il y a une manipulation de l’état de l’homme. Soit
il a froid quand il est venu comme ma soirée est chaud quand il est recouvert,
mais les deux hommes ne semble pas se soucier de sa perception.
Bientôt, il y a
six hommes sur scène, deux femmes. Oui, je compte. Pour beaucoup de créateurs
masculin, l'être humain est un homme. Les femmes sont encore un accessoire qui
définissent l’homme, comme les habits ou le décor. Mais quand un peu plus tard dans le spectacle, une femme émerge
d’un costume de cosmonaute contre toute attente, je révise mon jugement hâtif.
Il y a maintenant six hommes et trois femmes. C’est mieux, mais on pourrait
avoir six femme et quatre hommes, par exemple, sauf qu'elles ne porteraient pas le
complet standard de la même manière. En l'occurrence, elles sont soit en longue robe noire, soit
en dessous affriolants.
Musique : la
célèbre valse, mais très ralentie, de Strauss. Un cosmonaute apparaît sur la
scène. Coucou, 2001 l’Odyssée de l'espace, de Kubrick !
C’est une
exploration de l’être humain en tant qu’individu, en temps qu’être conscient.
Un thème qui me tient à coeur. En fait Numen et moi en discussions tout
récemment, autre entrée blog bientôt.
Je soutenais que
les humains ont une conscience d’eux-même, comme un roman est fait de mots sur
du papier, mais si on brûle le papier, le roman existe encore. Numen n'était pas d'accord. Il disait, et
une main sectionnée qui bougerait encore ? C’est un humain ? Dimitris
Papaioannou semble vouloir répondre à ces questionnements. Une femme apparaît
avançant sur des jambes trop grandes, comme une araignée. L’illusion est crée
par 2 hommes pliés qui marchent à reculons alors qu’elle repose sur leurs
corps. Une jambe est nue, l’autre est noire et disparait contre le fond noir.
Au cours du spectacle, des membres apparaissent ainsi, détachés, puis se
regroupant pour former un être humain. Enchantement. La magie du théâtre, deux
ex machina, Robert Lepage approuverait.
Papaioannou a
commencé sa carrière en faisant de la bande dessinée, il lui en reste
certainement un langage gestuel exceptionnel. La mise en scène des corps, des
mouvements est d’une grande habileté, grand talent. Un homme met des chaussures
qui semblent posées sur la scène. Quand il se met en marche, elles se révèlent
avoir des racines. Il marche sur les mains, ses pieds agitant leurs racines
dans les airs. Une belle image. Pina Bausch. Est-ce du théâtre gestuel ?
De la dance-théâtre ? C’est plus délicieux sans y mettre une étiquette.
La même position
d’un acteur/danseur/acrobate évoque autre chose suivant la séquence où elle
apparaît dans la pièce. Par exemples, un acteur en position de nageur entre les
jambes d’un autre acteur me fait penser à une proue de bateau. Plus tard, cette
même position évoque un homme flottant en état d’apesanteur. De même, les
flèches qui sont lancés sur l'homme nu protégé par des plaques de caoutchouc dans
une belle scène deviennent soudain des épis que les acteurs glanent tendrement.
Références
visuelles à la Vénus de Botticelli, au David de Michelangelo, à la Leçon de
dissection de Rembrandt. J’ai parfois la pénible impression que nous autres
créateurs européens, nous avons si peu à dire par comparaison avec les
Africains, les Asiatiques, les Sud Américains, que nous devons sans cesse aller déterrer
des références dans notre passé culturel.
Les acteurs se déshabillent
et se rhabillent beaucoup. Beaucoup. Heureusement que leurs complets ne sont pas croisées, ni leurs pantalons à boutonnière.
Parfois, j’avais
l’impression que le créateur s’était demandé, qu’est-ce qu’on pourrait bien faire
d’autre maintenant ? Certains trucs qu’il a trouvés, ingénieux, auraient
mérité d’être éliminés parce qu’ils ne contribuaient pas à l’intégrité du
spectacle. Comme Steven King l’a recommandé, le créateur doit pouvoir tuer ses
petits chéris. Parfois, si je ne comprends pas une action ou un effet, je leur donne
le bénéfice du doute. D’autres fois, non, ça ne me convainc pas du tout.
Même pendant des spectacles qui me plaisent, comme le Great Tamer (le grand dompteur), j’attends toujours avec impatience que ce soit fini,
parce que je suis prisonnière du rapport spectateur-créateurs : et si ça
ne me plait pas? Au secours ! Et si un acteur oublie où il en est et se
met à pleurer sur scène ? Et si j’adore, et tous les autres spectateurs
huent et sifflent et tous les acteurs se mettent à pleurer? La fin arrive
comme un soulagement. Moins pendant les très longs spectacles que j’apprécie
beaucoup. Ça m’embarrasse un peu, comme si on me forçait à aller au spectacle,
comme si je préférais boire un verre de vin en me vernissant les ongles des
pieds.
Ecrit par - Arabella Hutter von Arx
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